Andy Murray a raccroché définitivement la raquette lors des Jeux de Paris. Depuis 2019 et la pose d’une prothèse métallique à la hanche, il ne pouvait plus être celui qui s’était montré l’égal, durant au moins quatre ans, des trois plus grands joueurs de l’histoire du tennis, et cela le minait. Pour autant, il n’a cessé de susciter l’admiration par sa résilience, sa passion et sa capacité à dépasser ses limites, au service d’un grand talent.
La Belgique lui a réussi
On peut dire que c’est quelqu’un d’unique, une sorte d’anomalie. « Un joueur de tennis qui vient d’Ecosse c’est vraiment une histoire étrange », a-t-il coutume de sourire. Il faut dire qu’avant lui aucun Ecossais n’avait atteint le troisième tour de Wimbledon. Tennisman de haut vol et indomptable caractère, Andy Murray a durant quatre magistrales années contraint les chroniqueurs à transformer le Big Three en Big Four, une performance que Carlos Alcatraz est aujourd’hui à même d’apprécier à sa juste valeur. Perfectionniste, incroyable bosseur et bête de compétition qui n’abandonne jamais, Andy a d’ailleurs laissé une hanche sur les courts à force de rivaliser avec de tels extraterrestres. Entre 2012 et 2016, il a (ré)écrit l’histoire du sport britannique et marqué celle du tennis, gagnant notamment Wimbledon (deux fois) et l’US Open, accrochant deux fois l’or olympique et en privant Roger Federer sur son gazon préféré, remportant le Masters toujours à Londres, et ramenant presque à lui seul la Coupe Davis dans les îles britanniques ce qu’elles attendaient depuis 37 ans et Fred Perry. Rappelez-vous, cela se passait à Gand. Dommage pour la Belgique, mais à l’époque Andy était intouchable, même pour un très bon David Goffin. Il est d’ailleurs devenu numéro un mondial, au nez et à la barbe de Federer, Nadal et Djokovic au sommet de leur art. Mais là où, humainement, il a le plus impressionné par sa passion pour le tennis et sa volonté de dépasser ses limites, c’est en revenant sur le circuit après plusieurs opérations avec une prothèse de hanche en métal. « Les médecins me disent que je ne pourrai plus jouer, c’est assez difficile à entendre », racontait-il. Il annonça d’ailleurs une première fois sa retraite à l’époque, avant de se raviser. Même s’il voulait encore y croire, il n’a jamais pu retrouver son niveau d’antan. Malgré de multiples pépins physiques et à l’aide de nombreuses invitations, il n’en est pas moins parvenu à remonter dans le Top 40 mondial (ATP 36) et à remporter un tournoi ATP 250, l’European Open d’Anvers en 2019. En soi, un tour de force. « Je n’ai pas beaucoup joué en Belgique, mais cela m’a plutôt réussi », a-t-il souri. Le dernier match qu’il a gagné, avant de mettre un terme de sa carrière, c’était un double olympique lors des Jeux de Paris avec Daniel Evans, et c’était contre… notre paire de Coupe Davis Sander Gille/Joran Vliegen, cela ne s’invente pas.
Une abominable tragédie
Entre le gamin introverti dans la vie et explosif sur le court, sorte de Xavier Malisse british, sympa, bien élevé en dehors du terrain, impossible, intolérant avec lui-même sur le court, et le Sir (pour ne pas dire Saint) Andy Murray d’aujourd’hui, il y a une longue et parfois belle histoire. Elle débute à Dunblane, paisible petite ville de quelques milliers d’habitants en bordure des Highlands. C’est là que tout a commencé… et aurait pu se terminer très vite. Le 13 mars 1996, un certain Thomas Hamilton, individu perturbé, masqué, lourdement armé et dont on ignore toujours les motivations, est, en effet, entré dans l’établissement scolaire fréquenté par les deux frères Murray, s’est dirigé vers le gymnase où il a fait feu et tué seize enfants ainsi que leur institutrice, avant de se donner la mort. Agé de presque 9 ans, Andy était au même moment sur le chemin de cette même salle de gym avec sa classe. Le directeur de l’école, averti, leur a fait rebrousser chemin, sans les alarmer, et les a cachés dans son bureau. A quelques minutes près, l’histoire s’arrêtait là. « On a entendu le bruit des tirs, mais on pensait qu’il s’agissait de coups de marteau sur le toit, je me souviens que l’on nous faisait chanter des chansons, pas grand-chose de plus », a raconté le champion qui a longtemps éludé le sujet, zappant la tragédie et le traumatisme de son enfance. C’est bien sûr là que le tennis intervient, une affaire de famille aussi puisque le premier Murray à faire parler de lui fut l’ainé Jamie, finaliste de l’Orange Bowl à 11 ans et numéro deux mondial de sa génération deux ans plus tard. Le garçon a alors quitté le cocon familial pour un séjour de sept mois dans un centre d’entraînement de la fédération anglaise (LTA) qu’il a très mal vécu. Au point qu’ensuite il n’a plus voulu entendre parler de tennis, avant de revenir sur les courts plus tard mais comme joueur de double – avec son frère quand c’était possible, notamment en Coupe Davis. Drivé par leur omniprésente mère Judy, le destin des Murray est donc tout sauf un produit de la LTA qui roule sur l’or grâce au tournoi de Wimbledon mais a toujours éprouvé des difficultés à former de grands champions. A 15 ans, Andy a ainsi préféré écouter un certain Rafael Nadal, croisé dans les tournois de jeunes, et s’exiler à Barcelone pour s’entraîner à la spartiate dans l’académie Emilio Sanchez/Sergio Casal. Au delà de ses qualités naturelles, sa capacité d’adaptation a épaté tout le monde, et en 2004 il a remporté l’US Open juniors avant d’atteindre le troisième tour pour sa première apparition à Wimbledon.
Une question de vie ou de mort
Très vite, le tennis british, sevré de champions depuis Fred Perry et Tim Henman, a attendu beaucoup de lui. Cela ne lui a jamais posé problème ou fait peur, il était trop obnubilé et têtu dans sa quête du Sacré Graal, mais il a mis beaucoup de temps à convaincre, et l’Angleterre en premier lieu. D’abord parce que les résultats n’ont pas immédiatement suivi – il a perdu ses quatre premières finales de Grand Chelem. Ensuite, parce que les gens ont mis du temps à le comprendre, à deviner les aspects drôles, intelligents, sensibles de sa personnalité que soulignent ses proches, derrière les bougonnements et récriminations incessants du champion sur le court. C’est comme si ce rayonnement négatif, cette interaction permanente et « conflictuelle », y compris avec son box, lui étaient nécessaires, comme si le tennis était une question de vie ou de mort. Avec le temps, la tempête s’est un peu apaisée sous son crâne maturé, mais jamais complètement. « C’est quelqu’un qui trouve des nuages les jours de grand soleil », a écrit Christopher Clarey du New York Times. « Quand je le regardais à la télé, j’avais envie de lui dire « détends-toi un peu », expliquait son frère. « Il a tout, une famille incroyable, de l’argent jusqu’à la fin de sa vie et de celle de ses enfants, j’aurais aimé qu’il s’amuse un peu plus, qu’il prenne tout ça avec plus légèreté, mais c’est comme ça qu’il a atteint un tel niveau, c’est la seule façon pour lui d’être efficace. » Parmi les membres du Big Four, il faut bien constater que, toutes proportions gardées, Murray pratiquait le tennis le moins remarquable, il n’avait ni le génie de Federer, ni l’énergie et la puissance de Nadal, ni la flexibilité et la résistance de Djokovic. Ce qui frappait surtout chez lui c’est la puissance de travail, la mobilité et la qualité du retour. C’était bien sûr faire trop peu de cas de sa capacité de résilience, du feu sacré qui brûlait en lui, de sa formidable intelligence de jeu et tout simplement de son grand talent.
Précurseur avec Lendl
Avant de rejoindre les intouchables sur le toit du monde, et de le devenir lui-même sur son île, Andy Murray n’a donc pas toujours été bien compris. Dès 2006, à l’occasion de la Coupe du Monde de foot, une de ces blagues de potache dont sont coutumiers Ecossais et Anglais – « Je soutiens tous ceux qui jouent contre l’Angleterre » – a été sortie de son contexte avec une violence inouïe par les tabloïds, ce qui a incité le joueur à se replier encore plus sur lui-même. Dix ans plus tard, alors qu’il avait remporté deux fois Wimbledon, l’or olympique, et qu’il allait gagner la Coupe Davis pour la Grande Bretagne, il n’a pas non plus hésité, au matin du referendum sur l’autodétermination de l’Ecosse, à se déclarer pour l’indépendance de son pays d’origine et à assurer qu’il jouerait pour l’équipe écossaise en cas de « oui ». Il lui a suffi d’ajouter que le Royaume Uni en sortirait plus fort pour que la pilule passe. Le temps et les gens changent, au rythme des performances. L’Ecossais, qui vit entouré d’Anglais et d’Anglaises (il en a épousé une), n’a jamais été homme à se laisser dicter ses choix, quitte à aller à contre-courant. Ses plus beaux résultats il les doit à une décision qui, sur le moment, a surpris tout le monde. A 25 ans, alors qu’il restait sur trois finales perdues en Grand Chelem, il a convaincu Ivan Lendl, qui lui-même en avait perdu quatre avant de remporter son premier titre majeur, de se joindre à son staff. Une « bombe » qui allait tout changer dans le paysage, et pas seulement pour lui. Ses principaux adversaires n’ont pas mis longtemps à suivre, en engageant d’autres anciens champions qui n’avaient pas embrassés une carrière d’entraîneur, Edberg avec Federer, Becker avec Djokovic, Chang avec Nishikori, Ivanisevic avec Cilic. Dans le côté incompris, Murray s’y retrouvait avec Lendl, l’homme qui ne sourit jamais (ou presque), dur au mal, l’oeil sombre et rébarbatif. Même si, retraité, il est devenu plus golfeur que tennisman, personne n’était mieux placé pour comprendre la situation de l’Ecossais. Ce dernier, après s’être incliné lui aussi lors de ses quatre premières finales majeures, a dès lors enchaîné titre olympique, US Open et Wimbledon en 2012. Quatre ans plus tard, rebelote lorsque Murray retourna frapper à la porte de l’Américano-Tchèque à la triste figure, pour un triplé primé, deuxième triomphe à Wimbledon, deuxième médaille d’or, le Masters, et au bout d’un monumental marathon de victoires la place de numéro un mondial fin 2016.
Le monde au féminin
L’exact contraire dans la vie de l’image qu’il projette en match, Andy Murray était particulièrement estimé dans les vestiaires du circuit qui ont fini, avec le temps, par ranger ses énervements sur le court au compte pertes et profits. Même Nick Kyrgios, l’électron libre par excellence, a décrété : « Andy est celui qui a le plus les pieds sur terre, il dit ce qu’il pense et c’est une vraie bonne personne. » Qui d’autre que l’Ecossais aurait accompagné son équipe de Coupe Davis alors qu’il savait qu’il ne jouerait pas, juste pour supporter Kyle Edmund et son frère Jamie ? Au coeur de la plutôt virile et conservatrice ATP, Murray s’est également distingué dans son rapport au féminisme, dans sa capacité à mieux échanger avec les dames, quitte à essuyer les quolibets machistes. Il fut le premier cador du circuit, et jusqu’ici le seul, à engager une femme comme coach, Amélie Mauresmo, avec laquelle il a notamment atteint la finale de l’Open d’Australie ainsi que le dernier carré de Roland Garros et de Wimbledon. « A chaque fois que je perdais, on la remettait en question, ce qui n’arrivait jamais quand j’avais un entraineur masculin », dit-il, « un de mes grands regrets est de ne pas avoir gagné de Grand Chelem quand j’étais avec elle. » Deux années plus tard, celle qui dirige aujourd’hui le tournoi de Roland Garros devint la première femme capitaine d’une équipe de France de Coupe Davis, continuant à faire tomber les barrières. « Il a fallu du cran et de l’audace à Andy pour franchir le pas et s’y tenir, il a dû en entendre de pires que moi », assure la Française. L’Ecossais, qui a épousé Kim Sears, la fille d’un célèbre coach britannique avec laquelle il a eu quatre enfants, avait déjà de qui tenir puisque sa maman divorcée, ancienne joueuse et capitaine de Fed Cup, est intimement liée à sa destinée tennistique depuis qu’elle a commencé à entraîner ses deux fils dès leur prime jeunesse. Dame de tête, d’influence, forte et indépendante, Judy Murray a été présentée dans les médias tour à tour comme une mère dragon, une maman poule, ou une cougar sans complexe. Quand Boris Becker lui a lancé qu' »un jeune homme ne doit pas toujours avoir sa mère sur le dos », la réplique a fusé : « Dirait-on la même chose s’il s’agissait de son père ? Si j’étais un homme j’aurais été encensé pour ce que j’ai fait. Je suis seulement une maman qui veut le meilleur pour ses enfants. » On ne les a pas entendu s’en plaindre.