Plus que le temps et le silence, la discrétion est la nouvelle frontière de l’exclusivité. Choisir quand et combien on se dévoile, voilà le véritable signe du pouvoir.
À une époque où l’on se montre et l’on s’exprime parfois à tort et à travers, le vrai signe de luxe est de se modérer, et de se faire discret. Ce luxe est toutefois réservé à ceux qui ont le pouvoir de fermer la porte au monde quand et aussi longtemps qu’ils le souhaitent. C’est véritablement la vie privée, comme on l’appelait autrefois, avant que le terme ne devienne une case à cocher pour obtenir un service gratuit, une navigation plus rapide ou pour attirer plus de followers. Autrement dit, des clients. Aujourd’hui, la discrétion est plus précieuse encore que le temps, privilège de ceux qui n’ont pas les ressources intellectuelles ou économiques pour l’utiliser pleinement, et que le silence, désormais accessible sous forme de casques anti-bruit.
« Le comble du chic, c’est de ne pas exister sur Google. Comme j’aimerais ! », disait Phoebe Philo, ancienne directrice artistique de Chloé et Céline. Au-delà de l’hyperbole, il existe un juste milieu, y compris sur les podiums. La discrétion, Monsieur Armani la pratique depuis toujours. Si chaque homme est une île, lui est sans doute Pantelleria, l’île où tout est un peu en-dessous de la surface, tels les vignobles et oliveraies plantés dans des trous pour les protéger du vent. Ce n’est pas que l’on ignore tout de lui, mais bien qu’il ne laisse entrevoir que ce qu’il veut bien.
La discrétion ne signifie pas forcément disparaître ou se cacher pour alimenter la curiosité, à la manière de Banksy ou d’Elena Ferrante. Armani se balade librement dans Brera, où il a sa maison et son atelier, et les passants l’approchent avec la même simplicité. Keanu Reeves, lui aussi, circule paisiblement en moto dans les rues de Los Angeles. Car même les stars d’Hollywood peuvent choisir la discrétion. Des légendes comme Tom Hanks et Meryl Streep, des stars de blockbusters comme le très bohème Viggo Mortensen ou la très belle Jennifer Lawrence de Hunger Games, en sont la preuve.
Les grands acteurs habitués aux caméras peuvent – ou pas – rester à l’abri des projecteurs. Le cas d’école sont les amis Matt Damon et Ben Affleck, qui ont pris des chemins de vie opposés. Le premier est toujours aux côtés de son épouse, Luciana Barroso, ne se montre que lors des avant-premières et des Oscars. L’autre fait la une pour ses mariages et divorces, d’une Jennifer à l’autre, Lopez puis Garner, puis à nouveau JLo avant de se séparer pour de bon. La discrétion est certes un sentier moins emprunté, mais il est fréquenté par « les grands » de tous les domaines, des magnats de la finance comme Warren Buffett, l’oracle d’Omaha dont on ne retient que les prédictions, à Mario Draghi, que les paparazzis saisissent en balade dans les parcs de Rome avec son appareil photo.
La discrétion est une attitude qui, comme la timidité, transcende le contexte et les circonstances. On peut être Top Modèle et vivre à l’âge d’or du maximalisme, sans pour autant jouer à la Naomi Campbell. Christy Turlington en est la preuve. Avec Linda Evangelista, elles formaient la « Trinité ». Mais Linda et Christy n’auraient pu être plus différentes. Tandis que l’une accumulait les amants, l’autre obtenait un diplôme d’histoire de l’art à la Nyu. Si tout le monde connaît le compagnon du moment de la première, peu savent que la seconde est mariée depuis vingt ans à l’acteur et réalisateur Edward Burns. Elle aussi a choisi de laisser son travail parler pour elle.
Le fait est que si les plus extravagants sont plus visibles, les discrets marquent les esprits à long terme. Ainsi, parmi les magnats de l’information, on connaît le style Murdoch, qui a inspiré une série télévisée comme Succession. Mais qui connait les Sulzberger, propriétaires et gardiens du New York Times ? Dans le monde des affaires, on peut mettre face à face les Ortega, discrets propriétaires de de Zara, et la famille indienne Ambani, dont les mariages dignes de Bollywood coûtent des centaines de millions.
Pour chaque Hemingway qui a fait de sa propre vie un roman, il existe un Salinger qui, après avoir livré L’attrape-cœurs, s’est caché à la vue de tous dans un campus universitaire. Philip Roth se trouve quelque part entre les deux : connu même de ceux qui ne l’ont jamais lu, réticent aux interviews, sa vie privée suscite d’autant plus la curiosité que son œuvre en est souvent inspirée. Prenons pour derniers exemples de différences deux artistes absolues : la photographe Cindy Sherman, aussi discrète que ses œuvres, et la performeuse Marina Abramović, aussi extravagante que ses performances, et qui vécut pourtant des amours avec les très discrets David Byrne et Steve Martin. Il n’y a ni bonne ni mauvaise façon de faire. Chacun choisit la sienne selon son image et son ressenti. Mais n’est-il pas vrai que la discrétion, comme une inscription « Réservé » sur la meilleure table d’un restaurant, est empreinte d’un charme bien plus irrésistible ?
Par Giuliana Di Paola
Crédit Photo couverture GettyImages