Quand le maillot fait des vagues !

Quand le maillot fait des vagues !


Quelle est la tenue appropriée pour les filles d’Ève qui se baignent ou bronzent sur nos plages ? La fantaisie féminine ne s’est jamais démentie en la matière, quoique les créateurs du code vestimentaire estival aient généralement été des hommes. Le maillot de bain a toujours fait… beaucoup de vagues ! Si son histoire subversive est riche, c’est parce qu’elle traduit celle de l’évolution des mœurs et raconte la libération de la femme.

Dans l’Antiquité romaine les bains publics étaient très prisés, et hommes et femmes s’adonnaient nus à ce plaisir. Au Moyen Âge, les eaux thermales et les bains de mer, accusés de transmettre les maladies, étaient jugés malsains pour la santé. Leurs bienfaits ne furent redécouverts qu’au XVIIIe siècle. On se baignait de ce temps-là en chemise. À la fin du XIXe siècle les hommes vont à l’eau en pyjama de bain et les femmes en corset ample et pantalon bouffant. Arrive alors Annette Kellermann, née en 1886 en Australie et victime de la polio. Contrainte à d’intensifs exercices en piscine pour se muscler les jambes, elle devient une nageuse d’élite. Elle se fait vite remarquer, non seulement pour son talent mais également parce qu’elle arbore une combinaison intégrale qui lui permet des performances exceptionnelles. La championne se fait embarquer par la police pour indécence, mais elle n’a cure du scandale : elle crée sa propre ligne, le maillot Kellermann, d’une seule pièce moulante . Le ton est donné.


De plus en plus rikiki

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, dans les stations balnéaires en vogue, le maillot, petit à petit, rétrécit : les manches raccourcissent, le décolleté s’élargit, le pantalon remonte… En 1932, le couturier parisien Jacques Heim conçoit un maillot de bain de deux pièces, une culotte-short qui cache le nombril et une brassière, qu’il appelle Atome en référence au plus petit élément sur Terre pour désigner ‘‘le plus petit maillot de bain du monde’’. Puis, après la libération, s’étant amusé à observer les femmes qui retroussent leur maillot pour optimiser leur bronzage, Louis Réart, un ingénieur dont la mère gère une boutique de lingerie, lance le maillot de bain qui dévoile le nombril et, en référence à l’atoll des îles Marshall où vient d’exploser la première bombe atomique, il le baptise bikini pour désigner ‘‘la première bombe anatomique’’. Après mai 1969, le bikini, devenu le symbole de l’émancipation des femmes, se banalise. Et la roue continue de tourner : à la fin des années 1970, la ceinture du maillot descend sous la taille, la culotte devient de plus en plus mince et le haut disparait. Comme le monde, la mode n’arrête pas de tourner : après le monokini, le microkini avec un string. Depuis les années 2010 s’observe cependant une tendance à employer des tenues de bain plus couvrantes, quelle qu’en soit la cause : frilosité, crainte des cancers de la peau, préceptes religieux… D’où le burkini !


De nos jours il paraît évident qu’une femme a toute liberté de bronzer les seins nus sur la plage ! La jurisprudence appelle cependant à nuancer cette considération. En 2014 une Femen ukrainienne fracassa la statue de cire de Vladimir Poutine au musée Grevin pour protester contre l’invasion de son pays, les mots Kill Putin peints en rouge sur la poitrine. Son intervention déplut au parquet, qui la poursuivit sur le fondement d’exhibition sexuelle. La cour d’appel de Paris la relaxa, considérant que ‘‘la seule exhibition de la poitrine d’une femme n’entre pas dans [ledit délit], si l’intention exprimée par celle-ci est dénuée de toute connotation sexuelle’’, c’est-à-dire, selon la cour d’appel, ‘‘si l’intention, exprimée par son auteur (…) ne vise pas à offenser la pudeur d’autrui, mais relève de la manifestation d’une opinion politique.’’ La Cour de cassation de France fut cependant d’un autre avis : dans son arrêt du 26 février 2020 elle censura le point de vue de la cour d’appel. Elle s’abstint cependant prononcer une peine, estimant que la condamnation de la prévenue ‘‘serait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression’’.


Sur le droit des femmes d’exposer leur poitrine la juridiction suprême a donc répondu curieusement ‘‘Non, mais…’’ : Un non de principe pour l’étalage, un oui d’exception pour le geste de contestation des Femen. À s’en tenir à cette jurisprudence, au rebours de celle de la cour d’appel, il n’est pas évident, ont observé de fins juristes, qu’une naïade dont l’objectif, loin de toute liberté d’expression, se bornerait à un bronzage vite fait, serait à l’abri de toute poursuite ! Qualifiant cet arrêt frustrant de ‘‘belle occasion ratée de faire évoluer une jurisprudence d’un autre temps’’, l’avocate de la Femen a d’ailleurs en quelque sorte tourné les magistrats de cassation en ridicule en se demandant quel sort ils réserveraient aux femmes qui participent à des campagnes de dépistage du cancer du sein en posant, le buste nu, pour des affiches de prévention du ministère de la Santé !

Par Alain Zenner

2560 1707 High Level Communications

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