Publié le 25 décembre 2023

Certains immeubles sont de véritables oeuvres d’art

Par Shana Devleschoudere
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« Il est déjà arrivé que l’on m’appelle Dorothée », sourit la directrice Honorine d’Ursel, tellement on l’identifie au bureau bruxellois d’une société qui a pris un essor considérable sur le plan international ces dernières décennies. D’où vient cette appellation intrigante, Dorotheum ? Tout simplement de son origine autrichienne. La plus ancienne salle de vente au monde, fondée à Vienne par l’empereur Joseph 1e en 1707, a donné son nom à la société qui en assure la gestion et dont le siège se situe justement Dorotheergasse. Privatisée au début du 21e siècle, alors que jusque là le gouvernement fédéral en possédait la majorité des parts, c’est à Bruxelles qu’elle a ouvert sa première représentation à l’étranger. Même si les ventes internationales ont toujours lieu quatre fois par an à Vienne, deux semaines pour l’art ancien, deux autres pour le moderne et le contemporain, notre capitale s’impose bien sûr comme une plateforme logique pour être visible en Europe, qui plus est avec la quantité de collectionneurs que compte la Belgique.


Des architectes qui sont aussi des artistes

Il ne faut pas discuter longtemps avec Honorine pour mettre à jour les rapprochements avec le monde immobilier. « Nombre de nos oeuvres ornent les murs de maisons et d’appartements, au delà du plaisir ressenti cela leur donne de la valeur et du prestige, je pourrais vous citer pas mal de noms d’acheteurs privés mais je ne le ferai évidemment pas », sourit-elle. « Chez Christie’s et Sotheby’s, ils ne veulent que des oeuvres très chères, ce n’est pas à ce point le cas chez nous, même s’il nous arrive de refuser des objets dont la qualité n’est pas suffisante, comme d’ailleurs de voir une oeuvre un peu spéciale atteindre plusieurs millions alors qu’on ne s’y attendait pas. Il y a des objets artistiques dans toutes sortes d’habitations. Des architectes comme Victor Horta ont tout créé dans la maison jusqu’au moindre détail, murs, portes, cheminées, sans oublier le mobilier qui forme un tout avec l’immeuble lui-même considéré comme une oeuvre d’art à part entière, à l’image de l’hôtel Tassel à Bruxelles, merveille de l’Art Nouveau. D’étonnantes maisons-sculptures ont été construites dans les années soixante, sur les hauteurs cannoises mais aussi à Liège. Et au nord du pays, depuis le Topstukkendecreet instauré en 2003 pour protéger le patrimoine flamand, une oeuvre peut même être classée « immeuble par destination » au même titre que la maison qui l’abrite, elle en fait dès lors intrinsèquement partie, on ne peut pas la vendre séparément, ni la changer de place parfois. »

Haut de gamme

Même là où on n’a pas les moyens de s’attacher Daniel Buren pour aménager son hall d’entrée, l’intégration d’oeuvres artistiques dans le développement immobilier est devenue presque pratique courante chez certains promoteurs pour lesquels l’art participe à l’urbanisation et à l’embellissement de la ville. En France, à l’initiative de la ministre de la Culture, une charte « un immeuble, une oeuvre » a été paraphée en 2015 par treize poids lourds de l’immobilier. Mais les liens entre les deux univers sont surtout remarqués dans le haut de gamme. On range généralement l’immobilier dans les choix rationnels et l’art au rayon coup de coeur, mais lorsqu’on bénéficie de revenus permettant de se procurer des résidences de prestige c’est souvent l’attirance esthétique pour une magnifique propriété qui fait la différence plutôt que l’argent, et ce sont ces mêmes personnes qui choisissent l’art, par goût mais aussi par espoir de rentabilité, lorsqu’ils envisagent de potentiels investissements financiers. Ce n’est pas pour rien que le marché de l’art a la cote lorsque l’immobilier de luxe se porte bien.

L’ombre de Raphaël

Justement comment se porte-t-il chez Dorotheum ? « J’abonde dans votre sens », continue Honorine d’Ursel, « il est fort depuis le Covid, mais aussi extrêmement sélectif, il privilégie les oeuvres de très belle qualité, qui peuvent atteindre d’énormes montants en salle des ventes. Nous avons la réputation de travailler beaucoup les maîtres anciens, et il nous arrive de faire encore de belles découvertes, mais ce qui génère le plus d’argent c’est le moderne du début du 20e siècle et le contemporain, sans que l’on sache toujours si c’est par amour de l’art ou dans l’idée d’une plus-value future. Notre travail tient à la fois de la gestion, de la représentation, du contact avec les vendeurs potentiels, mais aussi de la recherche qui peut durer des mois, voire des années, comme lorsqu’un client est venu nous voir pour mettre un très beau tableau en vente au début de la crise sanitaire, une Vierge à l’enfant dont il avait hérité. L’enquête, passionnante et à rebondissements, s’est poursuivie durant près de deux ans, des experts ayant évoqué la possibilité que ce soit une peinture de l’entourage de Raphaël jeune, à l’époque où il fréquentait l’atelier d’Il Perugino. Bien sûr, selon que l’on situe l’oeuvre plus ou moins proche de l’artiste le nombre de zéros attendu dans le prix n’est pas le même. A deux jours de la vente, un historien renommé a découvert que Raphaël avait commencé un tableau, et qu’appelé à Rome par le pape il avait demandé que l’on finisse un drapé bleu qui correspond au nôtre. Le tableau estimé d’abord entre 200 et 300.000 euros est parti à 1,2 millions. Peut-être l’acheteur gardait-il espoir que ce soit un 100 % Raphaël… »

Honorine d’Ursel

www.dorotheum.com