Depuis l’année dernière, la maison de champagne G.H. Mumm (à qui l’on doit la célèbre cuvée Cordon Rouge) reçoit, dans son restaurant La Table des Chefs, la fine fleur de la gastronomie internationale. Ce printemps, c’est le jeune prodige Tom Meyer qui s’installe à Reims.
Résidence gastronomique
La Table des Chefs, à Reims, c’est un restaurant qui reçoit toute l’année un chef en résidence pour une durée de 3 mois. Ouverte depuis l’année dernière, cette nouvelle adresse s’est installée dans un des immeubles patrimoniaux de la prestigieuse maison champenoise G.H. Mumm : l’hôtel particulier de la famille Mumm, située juste à côté des bâtiments administratifs historiques et du chai de la marque (d’ailleurs, les caves des trois entités communiquent très opportunément sous-terre par d’impressionnantes galeries creusée dans la craie typique du terroir de la région). François-Xavier Morizot, vice-président de G.H. Mumm explique : “cette maison, même si elle a très vite appartenu à la société, a été habitée par la famille Mumm jusque dans les années 70’. Depuis, elle servait de lieu d’accueil de prestige pour nos meilleurs clients. Nous trouvions dommage que cette maison rémoise ne soit ouverte qu’à une poignée de happy fews chaque année. Nous voulions permettre à un plus grand nombre, et notamment aux Rémois, de profiter de ce bel endroit.”
L’ambition de La Table des Chefs, c’est d’être un vrai restaurant établi, et non une succession ininterrompue de restaurants éphémères. “C’est la raison pour laquelle, il y a une petite période de cohabitation entre le chef en résidence et son successeur. Cela leur permet de goûter leur menu, d’échanger, de créer un début d’histoire commune à l’intérieur des murs de ce restaurant. C’est une forme de passation qui permet de tirer un trait d’union entre les chefs” détaille Camille Paboudjian, directrice de la maison de champagne.
C’est à Mallory Gabsi (retrouvez son interview ici) qu’il est revenu l’honneur d’inaugurer La Table des Chefs. Premier chef en résidence, il a depuis été suivi par Florian Barbarot et puis par l’une des rares cheffes étoilées en France : le jeune Kelly Rangama. Outre qu’ils sont tous les trois brillamment passés par l’émission culinaire Top Chef (respectivement dans les saisons 11, 10 et 8), ces trois chefs ont en commun leur jeunesse, mais aussi leur réputation. S’ils sont jeunes, leur parcours était déjà reconnu (voir déjà récompensé par une institution gastronomique comme les grands guides culinaires) au moment de leur arrivée à La Table des Chefs. Leurs cuisines, elles, partagent une vraie fraîcheur, une réelle envie de proposer des choses nouvelles ou différentes. Et l’on touche là à l’ADN que Mumm à voulu donner à son restaurant. De chefs en chefs, les cartes et les menus changeront tous les 3 mois, et si les cuisines des uns et des autres seront forcément très différentes, l’esprit de La Table des Chefs, lui, restera le même.
Précoce, le MOF
Dans ce contexte, l’arrivée de Tom Meyer pour succéder à Kelly Rangama, est presque une évidence tant il coche toutes les cases. Rendez-vous compte : à à peine 30 ans, le jeune chef jurassien peut déjà revendiquer une étoile au guide rouge et porte le col tricolore le plus célèbre de la gastronomie mondiale, celui des Meilleurs Ouvriers de France (MOF). Une distinction ultra prestigieuse qui ne s’obtient d’habitude qu’après une longue pratique et un entraînement acharné aux techniques culinaires les plus sophistiquées. Il faut dire que Tom Meyer, malgré son jeune âge, est un habitué des meilleurs cuisines de France (et de Suisse) : fils de restaurateur, il a forgé sa technique virtuose chez Anne-Sophie Pic (***), à la Maison Lameloise (***), chez Joël Robuchon (***), à la Chèvre d’Or (***) à Èze et au restaurant de l’Hôtel de Ville (***), à Crissier. Rien que du beau linge. En sus, Tom meilleur est également une bête de concours : en témoignent sa deuxième place au Bocuse d’Or en 2019, et sa victoire au concours culinaire international Taittinger en 2017. Ce CV en forme de palmarès stellaire donne une première indication sur la maturité précoce du chef.
Cette résidence à La Table des Chefs est une première hors les murs de son propre restaurant parisien, Granite. C’est donc avec beaucoup d’humilité, d’implication et de sérieux qu’il s’est attelé à imaginer le menu 6 services que l’on peut désormais savourer à Reims. Lorsqu’on le découvre, on remarque assez vite que Tom Meyer n’est pas un obsédé des produits de luxe : même chez Mumm, pas question d’aller tout arroser au foie gras, à la truffe ou au homard, pour le seul plaisir d’en mettre plein la vue. On est en Champagne, certes, mais dans une maison qui sait se tenir et qui a des manières.
Les produits sont en revanche d’une grande qualité et d’une rare fraîcheur de saison : langoustine, asperge, tourteau, volaille… Tout au long du menu, le chef fait parler son sens de l’équilibre gustatif pour proposer des plats aux goûts très concentrés, nets et distincts mais qui ne saturent pas les papilles. Le repas est alors extrêmement digeste et pourtant d’une grande gourmandise. Les dressages, très graphiques, légers et printaniers témoignent, eux aussi, de la technique et de la créativité de Tom Meyer.
Des bulles mais pas seulement
À la table d’une maison de champagne, difficile de ne pas parler des vins. Puisque le restaurant de G.H. Mumm ne s’autorise que l’excellence, c’est ni plus ni moins que le meilleur sommelier du monde en 2023, Raimonds Tomsons, qui à construit la carte des vins de La Table des Chefs et s’occupe du pairing avec les menus des chefs en résidence. “Nous n’avions pas dans l’idée, en imaginant ce restaurant, d’en faire une façon commode d’écouler notre stock de champagne. Nous avons construit, avec Raimonds Tomsons, une véritable cave à vin de restaurant, avec nos meilleures cuvées, évidemment, mais également des références des meilleurs vignobles du monde. La Table des Chefs est là pour régaler et faire plaisir à tous nos visiteurs, pas seulement les amateurs de champagne” prévient tout de suite François-Xavier Morizot. Camille Paboudjian nous glisse à l’oreille pour compléter : “Raimonds Tomson est un ami de la maison Mumm de longue date. Comme avec Mallory Gabsi, qui a reçu son étoile pour son restaurant parisien la semaine où sa résidence commençait ici : nous échangeons avec Raimonds depuis bien avant son sacre mondial.” Chez Mumm, on semble avoir le nez creux pour dénicher les talents.
De la Champagne au Jura, en passant par la Provence et le Portugal
À La Table des Chefs, le sommelier léton peut évidemment puiser pour son pairing dans la fabuleuse œnothèque de la maison de champagne. C’est comme ça qu’avec l’asperge verte (sabayon noisette, lavande) il propose une cuvée millésime 2016, avec le tourteau de Roscoff (concentration de carcasse, bois de vanille, estragon du Mexique), il suggère la cuvée RSVR (la cuvée gastronomique de G.H. Mumm) Blanc de blanc de 2013. Pour l’omble chevalier (condiment XO, sapin, beurre blanc au genièvre) qui succède au tourteau dans le menu, Raimonds Tomsons avance la cuvée qui incarne le plus parfaitement le style de la maison et ce qu’elle fait de mieux : des champagnes vineux avec une expression vibrante des pinots noirs, avec cette cuvée RSRV Blanc de noir de 2014. En revanche, pour la langoustine (oseille, bourgeons de cassis, tagète passion) qui ouvre le menu, il s’est dirigé, à raison, vers la cuvée Fantastique, 2022, du château Sainte Marguerite (grand cru classé de Provence). Pour la volaille fermière (morrille, reine des prés, vin jaune), il va rendre hommage aux racines jurassienne de Tom Meyer avec un savagnin sous-voile de 2019 du domaine Tissot. Cet accord en particulier était impressionnant tant il était difficile de savoir si c’était le vin qui élevait le plat, ou le plat qui soutenait le vin. Un pairing majuscule.
Pour le dessert (chocolat Tulakalum, poivre vert, agrumes, grué de cacao) le choix de Raimonds Tomsons était évident aussi : un sherry, cuvée Royal Corregidor, de chez Sandeman (une autre marque prestigieuse du groupe Pernod-Ricard qui possède G.H. Mumm) de 20 ans d’âge. On aurait aimé, juste pour jouer, voir le sommelier trouver un champagne (un demi-sec présent dans la gamme Mumm ?) pour accompagner cette création élégante, chocolatée, amère et délicatement poivrée. S’il joue un peu la facilité, il faut admettre que l’accord proposé est impeccable et permet de clôre le menu par une touche gourmande et sans excès de sucre.
Tom Meyer signe, pour la 4e résidence de La Table des Chefs, une prestation qui fait honneur à son jeune pédigrée : un menu sapide et plein d’élégance gourmande dont la large palette de saveurs est soulignée par une sélection très fine et précise des vins. Nul doute que ce nouveau chapitre du restaurant de la maison Mumm fera honneur aux précédents et inspirera les suivant.
Article écrit par Martin Boonen, paru sur Eventail.be. Retrouvez d’autres articles sur l’actualité de la gastronomie, mais aussi celle du gotha, du patrimoine, de la mode, de la déco, de l’art et de la culture et de l’entrepreneuriat sur www.eventail.be.