La Cappadoce vue depuis une montgolfière à l’aube
Un voyage en Turquie entre passé, présent et futur. D’Istanbul, cosmopolite, touristique, chaotique, et à la fois mélancolie, à la Cappadoce magique, avec ses cités secrètes à admirer depuis une montgolfière.
Istanbul. Une multitude de voix, des foules en mouvement sur le Bosphore, entre rive européenne et asiatique. Ville de l’imaginaire et de visions s’effaçant entre passé et présent. Chaotique, touristique, mais jalonnée de coins secrets et retirés. La connaître, s’aventurer dans ses recoins les plus cachés, ses contradictions et ses situations controversées requiert qu’on y consacre du temps. Mais pour en capter l’essence, peut-être même sa mélancolie (comme l’évoque l’écrivain et Prix Nobel Orhan Pamuk), et rêver d’y revenir un jour, quelques jours suffisent.
Les premiers souvenirs d’Istanbul et de ses étapes incontournables ont un parfum teinté d’orientalisme. Que de splendeurs et de déclins ont jalonné ses noms : Byzance, Constantinople, Istanbul. Creuset cosmopolite, oscillant entre opulence et désastres, la sacralité de l’Empire romain d’Orient, la ville de Constantin, l’empire ottoman triomphant. En revenant des années plus tard, au bord de la Corne d’Or, on découvre la modernité, la vie contemporaine, les changements récents et des redécouvertes inespérées. Retrouver des lieux devenus des mirages dans la mémoire, comme la Citerne Basilique, datant de 532 après J.-C., où un parcours de visite réaménagé en 2022 met en lumière ses 366 colonnes. Lorsque le niveau de l’eau était plus élevé, on la visitait en bateau. Et Sainte-Sophie, chef-d’œuvre dont l’actuelle structure remonte à Justinien. Au gré de son histoire, église, mosquée, musée, elle est de nouveau un lieu de culte islamique depuis 2020. Seule la galerie supérieure est accessible, jadis réservée aux impératrices byzantines et à leur cour. Et les immenses demeures des sultans, le palais de Topkapi et le plus moderne palais Dolmabahce sur le Bosphore.
Non loin de là, l’Istanbul Modern est le premier musée d’art contemporain de la ville, conçu par Renzo Piano et inauguré en 2023. Cinq étages (dont le toit couvert d’un miroir d’eau) surplombant le Bosphore, dans le complexe commercial et touristique de GalataPort, accueillent des expositions temporaires et une collection permanente d’artistes nationaux et internationaux.
Dans le même quartier, le somptueux Peninsula Hotel, qui intégre trois bâtiments du XXe siècle, dont l’ancien embarcadère de Karaköy, invite à s’offrir un apéritif avec une vue privilégiée. Et pourquoi ne pas admirer tout cela depuis l’eau, à bord d’un des nombreux bateaux qui sillonnent les flots ?
Le coucher de soleil est un enchantement doré, inchangé depuis des siècles, à contempler du haut de la Tour de Galata, évocatrice de la présence génoise dans le quartier qui leur appartenait. Les Vénitiens, eux, résidaient à Pera. N’oublions pas le Musée de l’Innocence d’Orhan Pamuk, qui a dédié des livres inoubliables à sa ville. Bien des auteurs ont partagé avec nous leur vision d’Istanbul, et pour Pamuk, le meilleur reste Edmondo de Amicis, avec Constantinople, récit de son expérience dans la ville ottomane.
Mais il est temps de quitter Istanbul, ses minarets et ses chats, véritables maîtres des lieux, pour la Cappadoce, au cœur de la péninsule anatolienne. Un paysage rude de formations rocheuses, de pics terreux, de précipices et de ravins. Les formes fantastiques sculptées par le vent et l’eau et les sites rupestres qui rappellent Matera ne sont qu’un aspect du territoire, auquel fait écho un monde souterrain, vaste et encore en partie inconnu. Environ 150 à 200 villages souterrains sont en effet recensés (quelques-uns sont ouverts au public), refuges des anciens peuples, puis des premiers chrétiens. Une vie fourmillait dans ces labyrinthes protégés par des passages et des pièges pour repousser l’ennemi. On pouvait y subsister des mois. À Kaymakli, on peut explorer une infime partie de la ville à quatre niveaux, où l’on sent que l’on pourrait se perdre et ressortir n’importe où. Dans le musée en plein air de Göreme, c’est une succession d’églises rupestres ornées de saints, de madones et d’anges, avec des espaces monastiques camouflés dans les roches. Réfectoires taillés dans la pierre, escaliers et passages escarpés pour une vie ascétique retirée, rappelant les premiers siècles du christianisme. Et puis des châteaux comme ceux d’Uçhisar et d’Ortahisar, le centre d’Ürgüp, sans doute le plus touristique, et Avanos, renommée pour ses céramiques artistiques. Et puis un tour en montgolfière à l’aube, pour embrasser le panorama baigné de nuances rosées, rouges et ocres qui en accentue l’aspect archaïque. C’est en ces lieux qu’en 1969, Pier Paolo Pasolini choisit de tourner sa Médée, avec Maria Callas. Hormis le tourisme de masse (qu’on évite heureusement en hors saison) et les infrastructures d’accueil, le paysage n’a pas vraiment changé depuis lors.
Istanbul est accessible depuis la Belgique avec Turkish Airlines, la compagnie nationale turque, identifiable à son rouge si caractéristique, que Pantone a créé pour elle le Turkish Airlines Red. Depuis Istanbul, pour rejoindre la Cappadoce, il est nécessaire de prendre un vol intérieur vers Kayseri ou Nevshehir.
Par Micaela Zucconi